Réflexions suite à la disqualification de Mourad Aliev
Les JO de Tokyo 2020 auront pour la boxe tricolore un goût amer. Sur le fond d'abord : aucune médaille, et des éliminations très rapides (dès le premier tour pour 4 des 5 boxeurs engagés). Sur la forme ensuite, avec certaines décisions controversées dont la disqualification de Mourad Aliev face à Frazer Clarke, en quart de finale des super-lourds.
Alors qu'Aliev avait remporté le premier round, l'arbitre le disqualifiait à la fin du deuxième, sans que la raison en soit claire : des coups de tête supposés, portés à son adversaire, ou un comportement considéré antisportif (grossièretés et coup porté sur une caméra).
Le clan tricolore entrait alors en discussion avec les officiels, puis Aliev, la Fédération française de boxe et le Comité National Olympique et Sportif Français déposaient un recours devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui le rejetait.
Si ce rejet n'est pas surprenant au regard de la jurisprudence du TAS (I), il amène à s'interroger sur les décisions controversées en boxe olympique (II).
I. Analyse de la décision du TAS
Par principe en effet, le TAS refuse de réviser les décisions des juges et arbitres (A), sauf très rares exceptions (B).
A. Le principe : le TAS refuse de réviser les "décisions de jeu"
Le rejet du recours d'Aliev par le TAS n'est pas surprenant au regard de sa jurisprudence : de manière constante, le TAS refuse de réviser les décisions des juges et arbitres, et ce quel que soit le sport concerné. C'est la théorie dite des "décisions prises sur le terrain de jeu" (field of play decision). La raison est simple : éviter que tous les athlètes insatisfaits des décisions des arbitres de terrain saisissent le TAS. Le Tribunal Fédéral suisse, qui examine les recours contre les décisions du TAS, le rappelle : "le jeu ne doit pas être constamment interrompu par des recours au juge" (ATF 118 II 12/19 Kindle c. FMS).
De plus, le TAS considère que "loin du déroulement de l'action, la Formation ad hoc est moins bien placée pour décider que l'arbitre de terrain ou les juges de ring" (sentence n°96/006 du 1er août 1996, JO d'Atlanta, Christophe M. c/ AIBA).
En conséquence, selon le TAS "l'application d'une réglementation purement technique ne saurait être revue par la Chambre ad hoc du TAS" (sentence du 1er août 1996 précitée).
B. L'exception : le cas des décisions illégales ou arbitraires
Toutefois le TAS admet que ce refus de réviser les décisions de jeu "ne s'applique pas lorsque de telles décisions sont prises en violation de la loi, des réglementations sociales ou des principes généraux du droit ou encore sont arbitraires" (sentence du 1er août 1996 précitée).
Il considère également que "before a CAS panel will review a field of play decision, there must be evidence, which generally must be direct evidence, of bad faith or arbitrariness." (sentence n°2012/A/2731 du 13 juillet 2012).
Autrement dit, pour que le TAS accepte de réviser une décision de jeu, il faut des preuves directes d'illégalité, de mauvaise foi ou d'arbitraire. L'idée est donc que seuls les cas les plus graves peuvent donner lieu à révision : en cas de corruption démontrée par exemple.
C'est un obstacle très difficile à franchir pour le requérant, car c'est lui qui devra fournir ces preuves de mauvaise foi ou d'arbitraire. L'erreur d'arbitrage n'est pas, en elle-même, suffisante. C'est ce qui s'est produit dans le cas d'Aliev. Le TAS n'exclut pas que l'arbitre ait fait une erreur, mais relève qu'aucune mauvaise foi de sa part n'a été alléguée :
La solution aurait peut-être été différente si les requérants avaient pu prouver que sa décision n'était pas seulement une erreur, mais un acte de mauvaise foi ou d'arbitraire.
II. Les décisions controversées en boxe olympique
Alexis Vastine, Michael Conlan, Mourad Aliev... la boxe olympique est émaillée de décisions controversées et de boxeurs estimant avoir été volés. Les conditions de jugement en boxe olympique, subjectives (A), amènent à s'interroger sur l'introduction de la VAR (B).
A. Les conditions de jugement en boxe olympique
A l'origine de nombreuses décisions controversées se trouve la subjectivité du jugement. En effet, en boxe, le seul cas de victoire objective est le KO. Dans les autres cas, notamment aux points, la décision relève de l'arbitre et/ou de la notation des juges, selon le "ten point must-system", repris dans les règles de l'AIBA :
Les juges attribuent ainsi une note à la fin de chaque round selon le nombre de coups de qualités portés sur les cibles autorisées, la domination technico-tactique et la compétititivité.
Or, en cas de combat serré, chaque boxeur a le sentiment d'avoir gagné. C'est de l'écart entre le sentiment du boxeur (justifié ou non) et la notation des juges que naît la controverse, en particulier lors des JO qui représentent l'aboutissement d'années de travail. De plus, ce système basé sur l'appréciation subjective peut laisser place à de réelles malversations.
Si on ajoute à cela le comportement de l'arbitre, dont chaque avertissement retire un point au boxeur et dont les décisions de disqualification peuvent parfois être litigieuse comme dans le cas d'Aliev, on aura compris que ce système laisse place à la frustration.
B. La question du recours à la vidéo
Dans ces conditions, la question du recours à la vidéo se pose forcément. Voir un boxeur disqualifié des Jeux Olympiques suite à une erreur avérée de l'arbitre n'est pas acceptable.
D'ailleurs, depuis septembre 2019, l'AIBA a introduit dans ses règles une procédure dite de "bout review", permettant de modifier une décision après un combat dans certaines conditions, notamment si une action en réalité licite a été considérée fautive par l'arbitre. Malheureusement, le Comité International Olympique a décidé, en novembre 2019, que cette règle ne serait pas applicable lors des JO de Tokyo 2020.
Le recours à la vidéo est d'autant plus souhaitable que c'est après avoir visionné la vidéo du combat que le TAS a mentionné des erreurs d'arbitrages significatives, ainsi qu'un manque d'information et de transparence à l'égard de Mourad Aliev :
Suite au rejet de son recours par le TAS, le CNOSF a indiqué, par communiqué, qu'il soutiendrait la mise en place de l'assistance vidéo sur les combats de boxe dans la perspective des JO de Paris 2024 :
Souhaitons désormais que cette déclaration soit suivie d'effet, que le recours à l'assistance vidéo permette d'éviter de telles décisions litigieuses, et que Mourad Aliev ainsi que l'ensemble des boxeurs français connaissent un meilleur sort en 2024, à Paris.
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